COÏC CHAPPEL AVOCATS
L'architecte juridique de vos réussites
21 juin 2021 - Anne-Sophie Gendronneau-Blin

La responsabilité des dommages causés par des véhicules incendiés


Les dommages causés par un véhicule incendié constituent-ils un accident de la circulation ?

Aussi étrange que cette question puisse paraître, elle est très importante car la réponse permet de déterminer le régime de responsabilité auquel sera soumis ce type de dommage.

La loi du 5 juillet 1985 dite Badinter a instauré un régime de responsabilité spécifique aux accidents de la circulation mais la situation des véhicules incendiés défie son application. En effet, le critère principal de la loi Badinter est l’implication du véhicule dans un accident. Admettre qu’un véhicule immobile soit impliqué dans un accident semble contre intuitif mais la jurisprudence a reconnu cette possibilité afin d’assurer l’indemnisation d’un plus grand nombre de victimes.

La question a fait l’objet de plusieurs arrêts rendus fin 2020 et qui vont tous vers un assouplissement des critères qui permettent de reconnaitre l’implication d’un véhicule incendié dans un accident. La jurisprudence favorise ainsi la situation des victimes par rapport à celle des propriétaires. En effet, ces derniers bénéficient d’une assurance qui leur permet de ne pas supporter directement la charge de cette responsabilité.

• Quels sont les critères d’application de la loi Badinter ?

La loi Badinter a été élaborée pour permettre aux victimes d’accident de la circulation d’être systématiquement indemnisées. Pour que la loi s’applique il faut ainsi qu’un véhicule soit impliqué dans un accident de la circulation qui cause un dommage à une victime.

‣ Un accident : La jurisprudence définit négativement la notion « d’accident » : tout ce qui n’est pas causé volontairement est un accident (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004, n° 01-11.655). Il s’agit donc d’une notion extrêmement large.

Un accident involontaire : dans la situation des véhicules incendiés le critère involontaire de l’incendie est aussi nécessaire que celui de l’accident pour que s’applique la loi du 5 juillet 1985.

L’incendie volontaire d’un véhicule terrestre à moteur ne doit pas relever de la loi Badinter qu’il soit le fait de son détenteur ou d’un tiers. En effet, en ce cas, il n’y a pas d’accident à proprement parler.

‣ L’implication du véhicule : Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas de l’implication dans le dommage, mais de l’implication dans l’accident qui a provoqué le dommage. Il suffit donc que le véhicule ait eu un effet sur le déroulement de l’accident. Traditionnellement, un contact suffit à établir l’implication, la Cour de cassation admet donc une présomption d’implication d’un véhicule dès qu’il est entré en contact avec la victime ou son véhicule. Mais il peut y avoir une implication sans contact dès lors que la victime établit la participation du véhicule à l’accident. La simple présence d’un véhicule sur les lieux de l’accident reste cependant un critère

insuffisant pour établir sa participation (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-19.696). La jurisprudence analyse cette participation au cas par cas.

• Comment s’appliquent ces critères aux dommages causés par des véhicules incendiés ?

Premièrement, il est important de préciser que la jurisprudence considère que le fait de stationnement n’écarte pas automatiquement l’implication dans un accident de la circulation (Cass. 2e civ., 4 févr. 2010, n° 09-10.895). Cela signifie que l’immobilité n’exclut pas l’implication. Il faudra démontrer que le véhicule stationné est impliqué ou au contraire qu’il ne l’est pas au même titre qu’un véhicule en circulation. La jurisprudence traite de la même façon les deux situations.

Le seul critère spécifique restant pour démontrer l’implication d’un véhicule stationné dans un accident est relatif à l’emplacement du stationnement. Pour pouvoir être impliqué le véhicule doit être stationné sur un endroit où la circulation est possible (CA Angers., 17 mai 2011, n°10/00644). Aucune distinction n’est faite entre lieu public ou privé. Un véhicule stationné dans un lieu (public ou privé) où la circulation n’est pas possible, comme par exemple un hall d’immeuble, ne peut pas être impliqué dans un accident de la circulation.

Toutefois dans un arrêt récent, la jurisprudence s’est contentée pour reconnaitre l’implication du véhicule au seul critère de son intervention dans un accident, sans qualifier l’endroit du stationnement (Cass. 2e civ., 5 nov. 2020, n° 19-17.062). La portée de cette jurisprudence reste incertaine faute d’arrêts qui la reprennent.

• Y a t-il des critères spécifiques pour reconnaitre l’implication dans un accident de véhicules incendiés et stationnés ?

Dans le cas d’un véhicule incendié et stationné la jurisprudence prend en compte l’origine de l’incendie pour reconnaitre son implication dans l’accident et appliquer ou non la loi Badinter.

L’incendie qui provient d’un élément étranger à la fonction de circulation du véhicule stationné écarte l’implication de celui-ci dans l’accident. Par conséquent la loi Badinter ne s’applique pas.

En effet, les véhicules utilisés pour réaliser une activité professionnelle sont des « véhicules outils ». Le tracteur ou les camions de réfrigération sont de parfaits exemples de ce type de véhicules.
Attention ! Le fait qu’un véhicule permette de se rendre au travail n’en fait pas un véhicule outil (Cass. 2e civ., 15 déc. 2005, n° 04-14.600).

L’utilisation de ce critère semble stable (Cass. 2e civ., 24 sep. 2020, n° 19.19-36) mais un arrêt plus récent tend à la remettre en cause (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 18.26-846). Les juges ne retiennent, dans cet arrêt, uniquement que l’intervention du véhicule pour déterminer son implication dans l’accident et appliquer la loi Badinter. Toutefois, la portée de cet arrêt reste incertaine, il serait surprenant que la Cour de cassation se contrarie en l’espace de quelques mois.

• Quelles sont les conséquences de l’application de la loi Badinter en matière de garantie ?
Dans les cas d’application de la loi Badinter, la victime de l’incendie peut mettre en cause le gardien du véhicule simplement en démontrant l’implication du véhicule dans l’accident.

Pour les véhicules stationnés la victime aura sûrement à prouver que l’origine de l’incendie réside dans un élément relevant de la fonction de circulation du véhicule.

Dans tous les cas la loi s’applique sous réserve de l’exception de l’acte volontaire prouvé.

Les assureurs automobiles ont convenu, sauf en cas de collision (Conv. IRSA, art. 2.2.3.a), de ne pas présenter de recours entre eux tant pour des dommages d’incendie que de fumées. Toutefois, la convention ne les lie pas pour les dommages immobiliers.

Les risques d’insuffisance de garantie sont importants et l’assuré peut se voir recherché pour l’excédent lorsque sa garantie pour les dommages matériels aux tiers est limitée (assur., art. R. 211-7) et se révèle insuffisante (TGI Nice, 3e ch. civ., 25 févr. 1999, n° 97/06471). Le Fonds de garantie est susceptible d’intervenir lorsque les dommages matériels excèdent une certaine limite.

Partager sur :
FacebookTwitterLinkedInEmailPrint

AUTEUR

Anne-Sophie Gendronneau-Blin

Avocate

Le goût de l’esthétique.

« La séduction du vol réside dans sa beauté. Les aviateurs volent, qu’ils en aient ou non conscience, pour l’esthétique du vol. » Amelia Earhart (1897 - 1937)

Pour Anne-Sophie Gendronneau-Blin il y a de l’esthétique dans un bel outil juridique : bien conçu, bien écrit, un contrat est plaisant à lire et sera d’une exécution facilitée. Littéraire, elle attache une importance toute particulière à la rédaction grâce à laquelle la forme se met au service du fond. Après avoir occupé les fonctions de Privacy Specialist en Irlande, elle développe son sens du beau et du « bien fait » au profit des clients.

> Politique de confidentialité & Mentions légales