Algorithmisation de la justice : un avocat aux compétences renforcées. Allons à l’essentiel !
Le vendredi 6 mars 2020, certains membres du Cabinet COÏC CHAPPEL Avocats ont assisté au colloque autour de l’algorithmisation de la justice initié par Jean-Pierre Clavier à la Faculté de droit de Nantes.
Après une présentation technique de l’algorithme et de son fonctionnement, ce nouvel outil nous est apparu comme un moyen essentiel pour concentrer nos prestations sur ce qui est réellement nécessaire.
Le principe est que l’algorithme ou « intelligence artificielle » est capable de donner un taux de réussite d’une action en justice en fonction de données insérées dans le logiciel (type de litige, faits, montant en jeu, circonstances particulières…).
La plateforme peut alors, en consultant et en comprenant les précédentes décisions rendues, donner le pourcentage de décisions qui se sont prononcées en faveur ou non de l’action intentée dans ce type de dossier.
De plus, elle peut parfois indiquer les motifs ayant convaincu le juge, les circonstances de l’affaire, en déduire un montant probable d’indemnisation et les délais de procédure
L’algorithme, les legaltechs, les outils de « justice prédictive » entraînent une mutation de nos méthodes de travail qu’il ne faut pas négliger et dont il ne faut pas se détourner.
Les risques de ces nouvelles technologies sont connus : automatisation de la justice, scléroses de la jurisprudence, détournement de la clientèle des cabinets d’avocats, uberisation de la matière juridique, notation des avocats par des plateformes intermédiaires, tout cela accompagné de l’exigence toujours plus accrue du client.
Répondons à cette exigence et maîtrisons cet outil afin qu’il soit à notre service et ne devienne pas notre maître. Il faut éviter le dévoiement de ces outils en s’en emparant.
L’avocat se doit de s’adapter en permanence au monde qui l’entoure et questionner sans cesse son exercice.
L’utilité de l’avocat ne doit pas être remise en question par cette nouvelle lecture du droit car le justiciable a besoin de son Conseil pour décrypter cet outil (I). De plus, ce dernier offre de nouvelles compétences que l’avocat se doit de mettre au service de son client (II).
I- La portée limitée des résultats de l’algorithme sans l’intervention de l’avocat
Avant toute chose, il convient de préciser que les résultats délivrés par l’algorithme ne sont pas prédictifs, mais ne sont qu’une synthèse du passé. Il ne s’agit pas d’une boule de cristal que le justiciable consultera à la place de son avocat, mais bien d’une aide supplémentaire que l’avocat rendra accessible à son client.
Il ne faut pas fantasmer cet outil, mais le rationaliser. Il ne s’agit pas de prédiction, mais de prévision que doit prendre en compte l’avocat en sus d’autres données.
L’algorithme n’est pas omniscient :
- Il ignore le contexte subjectif que l’homme peut anticiper et utiliser ;
- Il ne considère que la lettre et non l’esprit d’une décision ou d’un texte ;
- Il ne prend en compte que les moyens déjà utilisés dans les précédents dossiers. Or, l’ingéniosité de l’avocat réside dans sa créativité.
La donnée brute doit être analysée et interprétée.
L’avocat restera essentiel dans l’interprétation et l’instrumentalisation des résultats fournis par le logiciel.
Lors de ce colloque, Xavier Ronsin premier président de la cour d’appel de Rennes, remarquait que le site « Doctissimo » n’empêche pas les patients d’aller consulter un médecin lorsqu’ils ont mal à la tête, car le site leur indique qu’ils peuvent être autant en simple état de veisalgie qu’avoir une grave pathologie neurologique.
Le professionnel reste le seul à pouvoir apporter une solution personnalisée aux besoins du client.
Le rôle de l’avocat perdure afin d’interpréter les résultats obtenus en les confrontant à son expérience, son intuition, ses échanges avec son client et l’intérêt de celui qui n’est pas toujours là où on l’attend.
Le succès même d’une action n’est pas toujours évident à définir et l’intérêt du client doit être déterminé avec son avocat. Il ne s’agit pas toujours de « gagner » un procès, mais parfois d’en limiter les conséquences. Le logiciel binaire comptabilisera ces décisions comme étant défavorables à ce cas, alors que c’est justement cette solution qui est attendue par le client in fine.
La machine opère un traitement objectif et détaché de la donnée. Le rôle de l’avocat est tout autant de transformer l’émotif en juridique, le subjectif en argument audible pour une juridiction, que d’établir une stratégie solide ayant le plus de chance d’emporter la conviction du juge.
Pour ce faire, l’avocat doit alors intégrer cet outil dans ses méthodes de travail (II).
II- Un nouvel outil pour une réponse plus efficace aux besoins du client
Il se pourrait que le justiciable se dote lui-même de ce logiciel.
Après avoir consulté l’algorithme, il pourrait décider de ne pas venir consulter un avocat en estimant que ses chances de succès devant une Cour sont trop faibles et que toute action est vaine.
Un taux de réussite faible dans un type de dossier ne doit pas décourager de rendre visite à son conseil car, au contraire, ce dernier sera alerté sur les infimes détails du dossier faisant sa particularité pour renverser la tendance qu’affiche la machine et complétera son analyse par d’autres outils complémentaires et son expertise.
Les avocats auront à se saisir de ce nouveau phénomène pour répondre au client :
- L’aléa judiciaire existe toujours: les statistiques sont une aide pour diriger un dossier, mais ne garantissent en rien son résultat car chaque cas a des singularités et l’outil ne permet pas de comprendre toutes les circonstances ayant amené les juges à rendre telle ou telle décision.
- Une action en justice n’est pas toujours la réponse à tout litige, et d’autres modes de règlement des différends existent. L’avocat est aussi là pour accompagner son client vers des modes de résolution non judiciaire.
L’outil vient alors encore affiner le jeu de la négociation. En fonction de ce que l’on pourrait espérer devant une juridiction, nous pouvons établir la solution en dessous de laquelle il n’est pas acceptable de transiger.
En outre, le manque de célérité de la justice est une des causes du manque de confiance du justiciable en cette dernière. L’aiguillage des litiges vers des solutions plus adaptées en fonction des résultats de l’algorithme permettrait ainsi d’apporter une solution plus pertinente à nos clients tout en désengorgeant les tribunaux.
De plus, il nous permet de connaître encore mieux la juridiction à laquelle on se retrouve confronté et de s’adapter à chaque tendance des juridictions.
En somme, les cabinets se munissant de pareils dispositifs disposeront d’un avantage supplémentaire à mettre au service de leur clientèle.
De plus, les algorithmes pourraient entraîner une réduction des coûts de traitements des dossiers, un gain de productivité et donc un renforcement de la compétitivité :
- En optimisant son temps sur les dossiers :
- Nous pourrons, toujours plus efficacement, diriger le dossier vers sa solution la plus aboutie et favorable dès le début de sa prise en charge.
- Nous pourrons ne demander que les actions purement utiles ou contrer celles qui sont chronophages, comme par exemple certaines expertises d’usages.
- Nous pourrons encore accélérer les recherches.
Cela permettra de consacrer ce temps à d’autres activités comme développer, communiquer, et se former pour mieux performer.
L’accompagnement et l’expertise juridique de l’avocat ne sont pas remplaçables par une machine qui doit venir renforcer nos compétences et l’offre faite au client.
Ce bilan des décisions passées ne doit pas nous enclaver dans un automatisme de gestion des dossiers : l’avocat doit garder son âme qui réside dans l’audace et l’ingéniosité pour éviter la sclérose de la justice.
Les nouvelles technologies bousculent les codes, à nous de nous saisir de ces outils afin de toujours mieux performer et accompagner nos clients de façon la plus optimisée.