Chronique de la réforme : La nouvelle délimitation des frontières entre la responsabilité contractuelle et délictuelle
La réforme du droit des contrats n’a pas apporté de modification de fond aux rapports entre responsabilité contractuelle et extracontractuelle.
Le projet de réforme du droit de la responsabilité rendu public par la Chancellerie le 13 mars 2017[1] consacre un Chapitre entier aux frontières entre les deux pans de responsabilité.
Classiquement, mais pour la première fois, la réforme propose d’intégrer dans le Code civil la règle du non-cumul des responsabilités à l’article 1233 en ces termes :
« En cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, ni le débiteur ni le créancier ne peuvent se soustraire à l’application des dispositions propres à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur des règles spécifiques à la responsabilité extracontractuelle »
Cependant, la tendance de la réforme est de réduire considérablement l’étendue de la responsabilité contractuelle qui avait été élargie ces dernières années par la jurisprudence.
Dans un premier temps, l’obligation de sécurité est décontractualisée par le projet de réforme.
La principale conséquence tient en ce que les dommages corporels sont réduits à être réparés exclusivement sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle.
D’autant plus étonnant, cette règle vaut même si les dommages ont été causés à l’occasion de l’exécution d’un contrat.
Nous pouvons comprendre que dans ce domaine particulier, il s’agit d’éviter de se heurter au cadre plus strict et limité de la réparation en cas de mise en jeu de la responsabilité contractuelle.
Cependant, un compromis a été trouvé en faveur de la victime qui pourra invoquer les stipulations expresses du contrat si ces dernières lui sont plus favorables. Il s’agira alors, comme en matière de droit de la consommation, de déterminer quels sont les effets les plus avantageux in fine pour la victime.
Dans un second temps, l’effet relatif des contrats est redéfini à l’article 1234 du projet.
L’arrêt « Myr’ho » (ou « Bootshop ») rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 6 novembre 2006 avait mis fin à une longue errance jurisprudentielle au sujet de l’effet relatif des contrats estimant que :
« Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
Ainsi, tout manquement contractuel était assimilé à une faute délictuelle. Le projet de réforme ne reprend pas cette extension de la responsabilité contractuelle en estimant qu’elle est un frein à l’attractivité du droit français.
Deux solutions sont envisagées :
– Considérer que le manquement ne constitue une source de responsabilité contractuelle à l’égard des tiers que lorsqu’il constitue également un fait générateur de responsabilité délictuelle.
– S’inspirer du modèle allemand selon lequel le tiers peut bénéficier des règles de la responsabilité contractuelle à l’encontre du débiteur fautif seulement si plusieurs conditions sont réunies comme la proximité du tiers, l’intérêt du créancier ou encore la prévisibilité pour le débiteur.
Le projet de réforme énonce que la responsabilité du contractant envers les tiers est exclusivement extracontractuelle. Ainsi, la faute contractuelle n’est plus assimilable à une faute délictuelle.
Toutefois, il existe une exception qui permet au tiers d’invoquer un manquement contractuel : lorsque ce dernier a un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat.
Cette exception ne manquera pas de créer des confusions et des rebondissements en jurisprudence. En effet, il est certain que si le tiers a subi un préjudice du fait de l’inexécution contractuelle, c’est que ce dernier avait intérêt à sa bonne exécution.
Si le tiers recourt à la responsabilité contractuelle, alors il se verra naturellement opposer les clauses de ce dernier, comme les conditions et les limites de responsabilité.
Ce recours contractuel du tiers semble être d’ordre public car « toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite ».
Cependant, l’exception reconnue à l’alinéa 2 de cet article 1234 est vivement critiqué par les différents rapports des groupes de travail, notamment celui de la Cour d’Appel de Paris qui y voit un risque pour la prévisibilité des cocontractants et donc l’économie du contrat. Il est ainsi préconisé de supprimer purement et simplement cette exception.
Il ne faut pas perdre de vu la genèse de la réforme qui a pour principal objectif de renforcer l’attractivité du droit français et de protéger les acteurs économiques des conséquences négatives d’une imprévision quant à l’engagement de leur responsabilité.
En ce sens, nous vous proposons de nous retrouver lors d’un prochain article concernant la possible suppression de l’exonération tenant au risque de développement.
[1] https://www.coic-avocats.com/chronique-de-la-reforme-de-la-responsabilite-civile/